Le charme discret de l’intestin, c’est l’histoire du succès d’une truculente étudiante allemande en médecine : Giulia Enders (cf la video qui a initialement fait son succès, en fin d’article).
Elle s’est donné comme mission de vulgariser avec humour tout ce qui touche à « l’organe clé » oublié par excellence, et ça marche. Ce livre répond à une demande croissante du fonctionnement de notre corps, autrefois l’apanage des médecins, et arrive probablement à un moment ou nous nous intéressons de plus en plus aux causes des maux dont nous souffrons. Giulia s’est d’ailleurs guérie d’une maladie persistante de la peau en s’intéressant à la santé de son intestin.
Et puis il y a la petite « touche familiale » qui plait : c’est sa soeur qui a dessiné les nombreuses et amusantes illustrations du livre. Beau succès de librairie donc, tant mieux pour elle et pour l’éditeur. Pourtant cela fait belle lurette que les naturopathes de tout bord ont fait de l’intestin (et de son « binôme », le foie) la clé de l’amélioration durable du système immunitaire, des problèmes de peau, sinus, humeur, etc… enfin bref un % vertigineux de nos bobos physiologiques.
On le sait, les précurseurs ne sont jamais médiatisés, par définition.
Et puis les chercheurs scientifiques ont peut être longtemps rechigné à se pencher sur cet organe quelque peu malodorant ? Le retard est cependant en train d’être rattrapé à la vitesse grand V puisque les études sur le fonctionnement de l’intestin et du microbiote explosent littéralement et le nombre des études croît de façon exponentielle chaque année. Ce qui laisse penser qu’on n’en serait qu’au tout début dans notre compréhension du fonctionnement de cet organe si complexe et fascinant, qui renferme tout de même 10 fois plus de bactéries que le nombre de cellules de notre corps. Ce qui suggère d’ailleurs que le génome de notre microbiote serait tout à fait déterminant, et qu’il pourrait bel et bien être, selon moi, une des clés essentielles pour comprendre l’épigénétique.
Je vous propose un résumé du livre. L’objectif n’est pas d’en remplacer la lecture. Bien au contraire. J’espère qu’il vous donnera envie de vous le procurer et de le lire intégralement. Non seulement il vous apprendra beaucoup de choses intéressantes qui vous permettront de mieux vous connaitre et pourront peut-être avoir une inflexion positive déterminante sur votre santé, mais en plus, ce livre qui est une mine d’informations et de détails truculents.
Entrons sans préambule dans la genèse physiologique : en gros, notre développement fœtal se fait à partir de trois tuyaux: le système sanguin (dont le centre est le cœur), le système nerveux (dont le centre est le cerveau) et le système digestif (que l’on peut schématiser comme un tube digestif). Tous les organes (poumons, foie, pancréas, vésicule biliaire, œsophage, estomac) « émanent » de ce dernier tube dont le chef d’œuvre est: les intestins.
Contrairement au cœur et au cerveau, les intestins n’ont pas, à nos yeux de profanes, acquis leurs lettres de noblesse. Il nous font même honte alors que c’est le fin du fin. Nous les méconnaissons, alors apprenons à mieux les connaitre et commençons d’abord par apprendre comment bien déféquer: Il est important que les deux muscles que sont le sphincter interne (régi par notre inconscient) et le sphincter externe (régi par notre conscience pour parer à nos contraintes extérieures) collaborent le plus souvent, c’est-à-dire que l’envie manifestée par le sphincter interne soit prise en considération par le sphincter externe sans délai (ie: aller à la selle rapidement). A contrario, le sphincter interne devient paresseux, il faut alors envisager une rééducation (biofeedback) qui se fait chez les gastro-entérologues. Le compromis du pet, en attendant plus concret, ne vaut qu’un temps, on ne pas en abuser donc. Anatomiquement, la fermeture du rectum en forme de coude pour ralentir la circulation des selles en position debout ou assise, disparaît en position accroupie, qui est donc la meilleure position pour déféquer facilement et complètement, sans forcer, étant donné que le rectum se trouve aligné vers la sortie. Les hémorroïdes et les diverticules sont essentiellement un problème des populations qui défèquent assis sur une cuvette. Mais rassurez-vous, pas besoin de WC à la turque, on peut s’accroupir tout en restant assis, en posant les pieds sur un petit tabouret bas et en penchant légèrement le buste en avant.
Une petite visite guidée du système digestif s’impose. La bouche est le sas qui s’ouvre sur un monde où l’être humain fait sien ce qui est autre. Avec la salive (fournie par 4 glandes salivaires) et les amygdales, c’est toute une organisation qui fait le tri pour éliminer les bactéries et autres présences malvenues du reste. Quand il y a stagnation, il y a création de la malodorante caséine dans les replis du relief amygdalien. Ce qui lui vaut parfois une ablation. Avant sept ans, c’est peu souhaitable car le système immunitaire est en apprentissage et les amygdales sont comme un « centre de formation ».
La visite continue. De l’architecture penchée et fibreuse de l’œsophage, on passe à l’estomac sa poche gastrique qui permet, entre autre, de roter avec aisance (si allongé, se tourner à gauche). On apprend pourquoi se tenir droit permet de mieux lutter contre le reflux gastrique. Plus haut qu’on ne le pense, notre « j’ai mal à l’estomac » concerne le plus souvent nos intestins. En revanche, des palpitations et troubles respiratoires peuvent provenir de la pression du cœur et des nerfs sur un estomac ballonné après un repas trop copieux, les gaz étant l’origine de bactéries pétomanes (plus chiquement, méthanogènes) friandes d’alcool. La forme en « poche de cornemuse » de l’estomac permet de séparer les solides et les liquides, ces derniers passant alors plus vite dans l’intestin grêle. La route (de 3 à 6m) est longue dans l’intestin grêle, zigzagueuse et incroyablement propre (sauf sur le dernier mètre). La surface digestive (100x la surface de la peau) est impressionnante avec l’intestin qui se plie en quatre, ses villosités et ses fanons minuscules et veloutés. Au total, environ 7km pour que les aliments ingérés et épandés sur cette surface soient assimilés et deviennent une part de nous-mêmes, après avoir été réduits en morceaux dans la bouche, et dénaturés et chauffés dans l’estomac, moyennant un certain coût énergétique. Bien mâcher et cuire les aliments permette donc de « délocaliser » une partie de notre activité digestive. L’ultime désintégration au niveau moléculaire est réalisée dans le duodénum, à l’entrée de l’intestin grêle, grâce à des sucs gastriques produits dans le foie et le pancréas. Ces sucs contiennent des enzymes digestives et dégraissantes, et fonctionnent comme la lessive dans le tambour de la machine à laver. Les aliments épandés sur le tapis de l’intestin grêle passent le contrôle du foie qui détecte et écarte la présence des substances toxiques pour permettre la production d’un sang nutritif (source énergétique, qui passe directement dans le cœur, le plus grand acheminateur vers l’ensemble des cellules du corps), une faible quantité d’eau, ainsi que de la chaleur (permettant de maintenir la température corporelle de 36 à 37°C).
La production de ce combustible a un coût énergétique. Le sang nécessaire à la digestion qui revient à l’intestin grêle est autant qui ne va pas au cerveau. C’est en tout cas une explication plausible du « petit coup de barre » après le repas qui incite au repos. Avant de rejoindre le gros intestin, nous faisons une halte avec l’appendice, sorte de voie de garage du gros intestin, réserve de bonnes bactéries et piège à microbes. Quand il est saturé, il s’enflamme, ce qui lui vaut d’être enlevé. Heureusement, il reste les cellules immunitaires du gros intestin, moins denses mais plus nombreuses. Il faut 16h environ à ce dernier pour assimiler un repas et en retirer les derniers nutriments (calcium, potassium, vitamine B1, B2, B12). Ce qu’il résorbe est transféré au foie par voie sanguine pour contrôle, avant d’être expédié vers la sortie. Les suppositoires échappent donc à l’ensemble des contrôles du foie, d’où leur efficacité et leur rapidité d’effet, même à faible dose.
Voyons maintenant ce que deviennent nos aliments. C’est dans l’intestin grêle que les enzymes digestives transforment les aliments jusqu’à l’obtention de matériaux constitutifs, molécules de sucre, acides aminés et lipides. Si les sucres simples sont rapidement assimilés (et c’est pourquoi nous les apprécions tant), c’est au prix d’une libération d’insuline pour rétablir l’équilibre général, et ça fatigue. A l’inverse, l’assimilation de sucres complexes est plus longue mais constitue, en quelque sorte, un bois de chauffage pour le corps. Le sucre est stocké sous forme de glycogène dans le foie, et sous forme de graisse dans les tissus adipeux. Les graisses stockent, entre autre, deux fois plus d’énergie que les glucides et protéines. Les lipides, non solubles dans l’eau ni le sang, empruntent la voie des vaisseaux lymphatiques, puis du conduit thoracique, pour remonter jusqu’au cœur, sans passer au préalable par le foie. D’où la nécessité de manger de bonnes graisses comme l’huile d’olive à première pression à froid aux propriétés inflammatoires (en utilisation crue seulement, sinon, préférer la graisse solide comme le beurre ou la graisse de coco). Mais la quantité ne devrait toutefois pas excéder 30% de l’apport énergétique quotidien. Tofu ou viande ont la même base: les acides aminés qui constituent les protéines avec lesquelles nous élaborons notre patrimoine génétique (ADN). Si la palette d’acides aminés nécessaires est plus large dans les protéines animales, pour les végétariens, il faut jouer sur les associations pour compenser les manques (protéines incomplètes). Veiller à un équilibre quotidien (et non par repas) suffit. Soja, quinoa, amarante, spiruline, sarrasin et graines de chia, par exemple, font exception car ils contiennent les principaux acides aminés.
Parmi les aliments ingérés, certains provoquent allergies, sensibilités, intolérances. Ce qui n’est pas assimilé par l’intestin grêle est en principe, non assimilé par le sang. Mais si c’est enrobé dans de la graisse (comme le lait, les œufs et les cacahuètes par ex), cela parvient à la lymphe où les cellules immunitaires veillent et attaquent au besoin. Plus largement, le système immunitaire apprend aussi à reconnaître les intrus et réagit de plus en plus tôt (dans la bouche même), provoquant l’allergie. C’est une hypothèse pour les lipides, une autre hypothèse est la perméabilité de la paroi intestinale. Cela concernerait, notamment, le gluten, amalgame de protéines issues de céréales telles que le blé, qui, en terre, se protège de son environnement en injectant des substances non assimilables dans ses graines. En petites quantités, c’est acceptable pour l’homme, mais en grandes quantités, le gluten non digéré se retrouve dans le sang et les tissus intestinaux où il n’a rien à faire, provoquant intolérance au gluten (dite maladie cœliaque). Mais sans aller jusque là, beaucoup plus de personnes souffrent de sensibilité au gluten, sans le savoir, habituées aux petits désordres digestifs (diarrhées, ballonnements, maux de ventre) de toujours. Ce n’est qu’en supprimant totalement le gluten et en retrouvant le confort digestif que ces personnes identifient le problème.
Le lactose du lait est assimilé par l’enzyme lactase dans l’intestin grêle. Mais l’assimilation n’est pas complète, les résidus « glissent » dans le gros intestin et nourrissent les bactéries présentes qui nous remercient par des émissions de gaz. Ce problème s’amplifie avec l’âge, quand les apports de lait ne nous sont plus utiles et que le gène impliqué se désactive. Une tolérance réduite nous permet souvent d’apprécier quelques écarts dont la limite est à repérer par chacun. L’intolérance au fructose proviendrait surtout d’une explosion de ce sucre qui se trouve non seulement dans les fruits mais inondent les produits industriels alimentaires. Le fructose non assimilé atteint, lui aussi, la flore intestinale vorace du gros intestin. Une malabsorption du fructose peut réduire la production de la sérotonine, la fameuse « hormone du bonheur », et induire, ainsi, une humeur dépressive. Tout est affaire de quantité et, c’est une hypothèse, de transporteur: le corps ne saurait assimiler plus de fructose qu’il ne saurait en transporter. S’il s’agit plus souvent d’intolérance, et donc d’excès, que de véritables allergies, à cela s’ajoutent le stress et la prise d’antibiotiques. Alors commençons par revoir les quantités de gluten, de lait et de fructose avant d’envisager de s’en priver définitivement.
Penchons-nous, à présent, sur la lunette des WC. Observons les selles qui peuvent nous en dire long sur l’état de notre système digestif. Il y en a de toutes les formes et consistances, et de presque toutes les couleurs. Au point qu’il existe une échelle (de Bristol) pour classifier cette diversité. Je vous renvoie au livre pour les détails scatologiques, sachez seulement ici que le nec plus ultra est la selle en forme de pate de dentifrice, mais de couleur marron…
Mais entrons dans l’univers plus élégant et sophistiqué de notre intestin. Le système nerveux autonome intervient dans la digestion de manière discrète mais magistrale. Les muscles lisses (par opposition aux muscles striés qui relèvent du système volontaire) propagent en ondes (mouvement péristaltique) le gâteau à l’état de « bol alimentaire » (broyé et salivé en bouche) dans l’œsophage, sans se préoccuper de la force gravitationnelle. Il passe ensuite environ 2h dans l’estomac pour les glucides simples et 6h pour les protéines et les lipides, où il est brassé jusqu’à l’obtention d’une consistance « milli-mietteuse », le laissez-passer pour l’intestin grêle. L’heure de la véritable digestion a alors sonné, avec l’extraction des nutriments. La gymnastique intestinale garantit un traitement plus rapide de la nourriture et une bonne consistance à l’arrivée. Les filtres alimentaires assurent le « répondant » des parois intestinales (mouvement péristaltique). L’intestin grêle est une véritable fée du logis armée d’un grand balai qui expulse dès que possible tous les déchets (ie ce qui n’est pas assimilé) vers le gros intestin (après 2h pour les glucides, 5h pour l’entrecôte), tandis que les nutriments vont dans le sang. C’est le moment des gargouillements, quand le ventre est vide, mais rien à voir avec la faim. Le grignotage compromet donc ces coups de ménage. Une pause de 5h entre les repas et une bonne mastication sont donc conseillées.
Le travail du gros intestin est plus tranquille pour achever le travail de digestion, sauf en cas de stress (qui peut provoquer des coliques). Au total et en moyenne, il faut compter une journée entre l’entrée en bouche et la sortie par l’anus. Mais ça peut être moins ou beaucoup plus. Les selles sont constituées d’un tiers de bactéries alimentaires, d’un tiers de sucs gastriques et d’un tiers de déchets en tout genre. Ca, c’est quand tout va bien. Une personne sur trois souffre de reflux gastriques œsophagiens qui résultent d’une mauvaise information adressée aux nerfs digestifs du sphincter œsophagien, au niveau du carrefour de l’œsophage et de l’estomac. Les raisons en sont multiples: cigarettes, hormones de grossesse, café, aliments avariés, chocolat, alcool, épices fortes, glutamate (E621), aliments trop sucrés, etc… à tester selon chacun. Les antiacides restent une solution de dépannage seulement, car l’acidité est nécessaire à la digestion dans l’estomac. En cas de persévérance, consultez votre médecin. Vomir est différent. Tout le corps est en action pour expulser ce qui est « à vomir » depuis l’estomac ou même l’intestin grêle. Plusieurs raisons à cela: un aliment pas assez mastiqué, un virus de gastro, un agent pathogène auquel le système immunitaire ne peut pas faire face tout seul, mais aussi trop de mouvements (ex: les montagnes russes), la voiture (décalage vue/oreille), les émotions trop fortes, le stress cérébral ou intestinal. Jeter du lest est une stratégie d’économie d’énergie pour aller à l’essentiel et parer au plus pressé. Gingembre, anti-nauséeux, acupuncture (P6), relaxation peuvent limiter les vomissements, mais faites confiance, le plus souvent, à votre corps, il a sûrement ses raisons de le faire.
La constipation régulière touche 15 à 35% des français. Le problème se situe en général au bout du gros intestin et est affaire de nerfs et de muscles paresseux. La constipation en voyage est la conséquence de situation inhabituelle dont sont tout à fait conscients les nerfs de l’intestin. Pour limiter les dégâts, certains choix alimentaires (pruneaux, fibres) accompagnés de suffisamment d’eau, pro et prébiotiques, et surtout, éviter les effets de marche arrière qui surgissent quand on réprime une envie d’aller à la selle parce que ce n’est pas le bon moment.
Dans les cas les plus sévères, mieux vaut contacter d’abord votre médecin, mais rassurez-vous, il existe encore d’autres solutions: les laxatifs (osmotiques, lactulose, sorbitol, le PEG) hydratent les selles dures (parfois un peu trop…) et stimulent le réflexe péristaltique. Pour les nerfs intestinaux les plus timides, on a recours à des laxatifs stimulants (les donneurs d’ordre GIGN par voie orale ou suppositoire, aloès vera, séné). Attention cependant à espacer les prises de 2 à 3 jours pour ne pas trop solliciter les nerfs. Plus encourageant que commandeurs, les médicaments prokinétiques sont encore peu commercialisés. Dans tous les cas, après la prise efficace d’un laxatif, ne pas être surpris de ne pas retourner aux toilettes avant 3 jours (ou 2 jours, pour les « tortillards du transit »).
Voyons maintenant comment le ventre et la tête sont liés. Aujourd’hui, la science remet prudemment en question la suprématie du cerveau, car la chimie du système nerveux entérique (dans l’intestin) le rivalise en complexité, d’où le qualificatif de « deuxième cerveau ». Les chercheurs découvrent que « ce que nous sommes, c’est aussi ce que nous avons dans le ventre ». Les signaux en provenance de l’intestin peuvent arriver dans différentes régions du cerveau (grosso modo, les zones de perception du « moi », de gestion des sentiments, de moralité, de peur, de mémoire, de motivation), mais pas dans toutes. L’intestin, organe sensoriel le plus étendu du corps et immense matrice qui ressent tout de notre vie intérieure et de notre subconscient, est en première loge pour collecter beaucoup d’informations qu’il retransmet au cerveau principalement par le nerf vague. De là à penser que prendre soin de son intestin influe sur le moral et les états dépressifs, les scientifiques étudient cette hypothèse comme voie de communication. De même qu’une irritabilité de l’intestin influe sur le bien-être, une phase de stress va de pair avec un prêt d’énergie intestinale requis par le cerveau et un changement du paysage bactérien intestinal. Un stress peut être causé par la présence d’une allergie alimentaire détectée. Une façon de nous rappeler que nous sommes aussi les jardiniers de notre paysage abdominal. Un bon intestin, ça se conquiert par retour d’expériences (les bonnes comme les mauvaises). L’hypothèse que ce paysage influe aussi sur notre comportement est sérieuse. L’efficacité d’une hypnothérapie sur des patients atteints du syndrome de l’irritabilité de l’intestin revient à une bonne séance de kiné pour nos nerfs. Réguler les signaux frénétiques de notre intestin inquiet serait le rôle principal des antidépresseurs, en plus de la production de sérotonine.
Notre moi est plus que notre cerveau. Nous habitons la planète terre et sommes, nous-mêmes, une planète habitée par des bactéries. De ce « petit monde » qui se trouve en nous, l’intestin est le continent le plus fascinant et le plus peuplé (99% de notre microbiote total). Presque tout ce qui « sent » chez l’être humain, est le fait des bactéries, ces organismes unicellulaires aussi utiles à notre vie que variés. Environ 80% de notre système immunitaire est localisé dans notre intestin et veille à identifier et à éliminer tous les intrus malvenus dans le microbiote. La tâche n’est pas toujours facile. Certaines bactéries stimulent notre système immunitaire.
Un premier ensemencement du microbiote a lieu quand nous quittons le ventre de notre mère qui nous a maintenu dans un milieu totalement stérile jusque là. De 100% humain, nous passons à 90% microbes qui nous ont colonisés à partir du passage de la flore vaginale et intestinale maternelle. L’évolution démographique de cette flore est rapide et s’équilibre dans nos intestins vers 3 ans. Nous construisons notre avenir à pleine bouche. L’allaitement et les bisous maternels permettent d’apporter de bonnes bactéries et tout ce qu’il faut, d’autant que l’alimentation de la mère est saine. Le sevrage est une révolution pour le nourrisson. Les apports alimentaires doivent être progressifs pour s’habituer aux changements. Cela dépend des traditions alimentaires des pays, mais aussi de notre mode de vie, nos rencontres, etc. De sorte que même des jumeaux ont des populations bactériennes différentes. L’importance du premier ensemencement est capitale. Pour les enfants nés par césarienne, les premières rencontres bactériennes se font au gré des contacts par la flore cutanée. A partir de 7 ans, les flores intestinales de tous les enfants sont comparables.
A 3 ans, quand la flore intestinale se stabilise, l’intestin sait ce qu’il aime et comment on fonctionne. La moyenne des bactéries est immense et établit une empreinte bactérienne unique propre à chacun. C’est le génome bactérien qui définit les compétences des bactéries (comme celles d’assimiler le lait ou le soja par ex). On distingue trois types d’intestin apparentés à trois familles de bactéries différentes, qui nous aident à digérer, à fabriquer des vitamines et autres substances dont nous avons besoin.
Quel est précisément le rôle de la flore intestinale ? Les bactéries fabriquent des nutriments si petits que nous pouvons les assimiler via les cellules intestinales. Quand tout va bien, la concentration de bactéries se densifie là où la digestion est quasiment achevée, sauf en cas de colonisation bactérienne de l’intestin grêle. Elles s’évacuent ensuite car nous ne les digérons pas. Mais elles n’agissent pas seulement à l’intérieur de nous. Notre alimentation est souvent prédigérée par des bactéries (par ex le yaourt, l’alcool, la choucroute, etc.) Elles devraient être aussi considérées que les calories lors de nos prises de repas. D’ailleurs, voyons comment les bactéries peuvent nous faire grossir. Une première hypothèse est que certaines bactéries « patapouffantes » ont un rendement trop généreux de glucides car elles tirent plus de substances de la nourriture, notamment des glucides non digestibles des acides gras. Mais au vu des quantités, cela ne suffirait pas à expliquer les prises de poids excessives. Une seconde hypothèse est que les états inflammatoires peuvent survenir en cas d’alimentation trop grasse (mais pas seulement, également trop de gluten, carence en vitamine D, excès d’œstrogènes), et le corps ferait alors quelques réserves de graisse. Enfin, la troisième et dernière hypothèse serait que les bactéries de l’intestin pourraient agir sur notre appétit, nous influençant sur l’envie comme sur la satiété, en stimulant dans notre cerveau, nos transmetteurs (sérotonine et dopamine). Il semblerait que certaines bactéries fassent baisser le taux de cholestérol. Les études en ce sens sont récentes.
Faisons un peu connaissance avec les mauvaises bactéries et les parasites. Quand on parle de toxi-infection alimentaire, les salmonelles (présentes préférentiellement dans le poulet et produits dérivés) sont en tête du hit-parade. D’où l’importance de bien chauffer la viande et les plats à base d’œufs, d’acheter des œufs frais de bonne qualité, de les stocker à température inférieure à 10°C et de laver tout produit qui a été en contact.
La bactérie Helicobacter pylori est présente dans la moitié de l’humanité et peut causer des problèmes gastriques de l’estomac, fragilisant la muqueuse qui est vulnérable aux sucs gastriques. et pouvant entrainer des lésions dans la paroi stomacale (ulcères), et dans certains cas extrêmes, pouvant engendrer un cancer de l’estomac ou la maladie de Parkinson. Pour y remédier, antibiotiques ou extraits de brocoli (sulforaphone) peuvent s’avérer nécessaires. Mais notre système immunitaire voit aussi les atouts de cette bactérie sur la fabrication de cellules régulatrices utiles par exemple en cas d’asthme. Ne s’en préoccuper donc qu’ en cas de troubles digestifs ou de cas de cancers de l’estomac, de certains lymphomes ou des antécédents familiaux de Parkinson.
Les parasites toxoplasmoses sont les hôtes kamikazes du chat, et accessoirement de l’être humain. Logés dans les muscles et le cerveau, ils passent plutôt inaperçus, jusqu’au jour où ils désactivent la peur naturelle de ce qui nous nuit, jusqu’à nous rendre suicidaire, autodestructeur, et même schizophrénique. Influençant la production de dopamine et de sérotonine, ils pourraient nous influencer en agissant sur les centres cérébraux responsables de la peur, des odeurs et du comportement.
Un être humain sur deux héberge des vers (oxyures) au moins une fois dans sa vie, provoquant des gratouillis gênant à l’anus, véritable stratégie du ver pour ramener des œufs de la main … à la bouche. Se laver les mains est évidemment indispensable, mais nos nerfs à vif, en particulier quand on dort, ne nous rendent pas infaillibles. En cas d’infestation, une médicamentation (par ex au mébendazole) est nécessaire pour venir à bout de ces squatters qui se nourrissent de sucre.
Notre principale protection à tous ces êtres indésirables est la propreté. Mais la propreté n’est pas toujours ce que nous croyons. Se laver les mains, nettoyer à l’eau chaude les crudités sont des gestes nécessaires mais ne suffisent pas. En revanche, devenir maniaque de la propreté n’est pas forcément judicieux car plus les standards de propreté sont élevés dans un pays et plus il y a d’allergies et de maladies auto-immunes. Aujourd’hui, une personne sur trois est allergique alors que 95% des bactéries sont inoffensives, voire même nos meilleures alliées. Tout est affaire d’équilibre. Nettoyer devrait consister à réduire le nombre de bactéries, pas à les éliminer toutes car notre système immunitaire a besoin d’être stimulé raisonnablement. Il faut donc une quantité de bonnes bactéries et une petite dose de mauvaises bactéries. Sachant que les bactéries aiment les espaces protégés, la chaleur, l’humidité et la « bonne bouffe », il faut avoir quatre bons réflexes: il faut diluer (laver les fruits et légumes et ajouter du vinaigre, aérer les pièces, terminer de laver la vaisselle à l’eau claire, attention aux éponges et torchons humides), sécher (la déshydratation des aliments conserve et empêche la formation de moisissures par ex), régler le thermostat (l’hiver, le froid est une sorte de grand ménage dans la nature, tout comme le réfrigérateur pour nos aliments quand il n’est pas trop plein et bien réglé (moins de 5°C). A l’inverse, laver le linge souillé à 60°C suffit, les bactéries E. Coli succombent à plus de 40°C et les salmonelles à plus de 70°C), et enfin, nettoyer la maison avec eau et produit nettoyant suffit à retirer toutes les bactéries. Pour la peau, il ne s’agit pas d’éliminer le film graisseux protecteur.
Les antibiotiques (et en amont, les pesticides) transforment les bactéries en passoires, les empoisonnent et les rendent stériles, mais ne touchent pas aux virus (lors d’un rhume par ex). Pour un usage pertinent, un dosage du biomarqueur procalcitonine permet de mettre en évidence l’origine bactérienne ou virale d’une maladie infectieuse. Bien utilisé, l’antibiotique peut sauver une vie, moyennant un désordre digestif (car il tue aussi les bonnes bactéries). La flore intestinale s’en remet difficilement, particulièrement chez les jeunes enfants et les personnes âgées. Mais trop d’antibiothérapies développent des résistances qui affaiblissent l’efficacité des antibiotiques et du système immunitaire. Cela vaut pour la prise directe d’antibiotiques comme ceux que l’on ingère avec la viande industrielle (la viande bio est « moins pire ») et les fruits et légumes « nourris » au fumier industriel. En vacances, surtout dans les pays bactériellement problématiques, redoublez de précautions hygiéniques, « lavez, cuisez et/ou pelez ». Les plantes sont des antibiotiques qui ne génèrent pas d’effets secondaires, disponibles dans la nature ou en produits manufacturés, et qui sont une alternative possible aux antibiotiques chimiques. A utiliser cependant avec prudence car ils ne sont pas toujours assez efficaces.
Les pro et prébiotiques favorisent ce qui nous fait du bien. Les probiotiques sont des bactéries vivantes qui agissent « pour la vie » et qui aident l’intestin à retrouver un équilibre une fois l’infection passée. Dans le processus de fermentation, l’acidité et les bonnes bactéries protègent la nourriture (yaourt, lait caillé, choucroute, sauce soja, miso, pain au levain, fromage…) des mauvaises bactéries. Encore faut-il que ces bonnes bactéries aillent jusqu’à l’intestin pour protéger nos villosités intestinales. Celles-ci, plus stables et plus grosses, filtrent alors mieux les déchets et les nutriments de nos repas, et ne laissent pas la place vacante aux mauvaises bactéries, en collaboration de notre intestin et de nos cellules immunitaires. Des probiotiques pharmaceutiques sont recrutés en service intérimaire, en cas de pénurie ou de grippe intestinale par ex, pour venir à bout d’une diarrhée. Moins clairement, ils peuvent aider à lutter contre les allergies, et peut-être, contre le surpoids, les intolérances au lactose, les troubles digestifs diverses, les troubles articulaires inflammatoires, et même le diabète. A nous, en cure de soin, d’expérimenter (au moins un mois) les différents probiotiques disponibles. Souvent d’efficacité temporaire (coloniser une terre déjà occupée n’est pas facile), pour des effets plus durables, des équipes mixtes de bactéries aux compétences complémentaires peuvent être envisagées. Le must dans ce domaine est la transplantation fécale. Très efficace pour venir à bout d’un clostridium difficile, cette technique reste néanmoins confidentielle car on ne connait pas encore les effets secondaires. Plus de 60% de nos bactéries intestinales nous sont encore inconnues et les recherches ne font que commencer.
Les prébiotiques sont des aliments qui nourrissent et favorisent la croissance et l’activité de nos bonnes bactéries dans le gros intestin, à condition qu’on en ait! On appelle « fibre alimentaire » tout ce qui ne peut pas être assimilé dans l’intestin grêle. Les fibres continuent à alimenter les bactéries dans le gros intestin, bonnes ou mauvaises. Il en existe des naturelles (ex: les bananes). Ce n’est pas une raison pour en manger soudainement beaucoup, car sinon, c’est les ballonnements et les gaz assurés! En revanche, un petit pet de ci de là et de surcroit, sans mauvaise odeur, est plutôt bienvenu, car c’est un signe que les bonnes bactéries sont bien nourries. Les galacto oligosaccharides présents dans le lait maternel et certains laits infantiles en poudre fonctionnent comme des petits boucliers protecteurs de la paroi intestinale. L’inuline apporte un confort et aiderait à l’assimilation du calcium ingéré (mais pas en cas d’ostéoporose lié plutôt à un problème hormonal). Issus des légumes, des fruits ou encore de la pharmacie, les prébiotiques soutiennent les bonnes bactéries qui prennent soin de nous. En proportions moindres, les mauvaises bactéries stimulent notre système immunitaire et nous rendent plus forts.
Remarques du blogueur :
- concernant les probiotiques, il existe maintenant de sérieuses contre-indications, notamment les ballonnements et la mauvaise vidange de l’estomac (cf l’approche du dr Bruno Donatini).
- Un livre incontournable pour tous ceux qui s’intéressent au lien entre cerveaux et intestin : L’intestin au secours du cerveau, du Dr david Perlmutter
Video
La fameuse video qui a fait le succès initial de Giulia (à près de 900 000 vus en mars 2016) :
Tu Thanh
&
Christophe ETIENNE